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épopopèmémés, Sanda Voïca

épopopèmémés, Sanda Voïca

Poezibao
(note de lecture) Sanda Voïca, "Épopopoèmémés", par Mazrim Ohrti

mercredi 27 janvier 2016

 

Sanda Voïca (poète d’origine roumaine) nous livre ici un texte riche et surprenant. Son introduction est la clé qui l’ouvre par « une longue onomatopée », soit un « cycle de 37 poèmes (qui) se veut une… épopée (…) ». Se dégage une fascination de ces prolégomènes – rien que par les déclinaisons possibles du titre à la résonance surréaliste. De quoi faire dire à la couverture magnifique : ceci n’est pas un poisson. C’est l’oralité qui unit le corps à la machine, indique Sanda Voïca. Et si le livre a des allures de journal intime, du fait de la datation des textes qui se suivent (quasi quotidiennement), comme partie intégrante du poème, celle-ci s’en défend. Chaque texte (tout en vers libres), malgré le fil qui l’unit aux autres, révèle l’humeur ponctuelle qui le sous-tend – notamment par son titre à l’évocation mystérieuse : « Jactance », « Aujourd’hui je suis Berka Solo », « Mes Equilibres singuliers », « Blowin’ in the Wind » ou « Je m’encrucifie énormément ». Calembours, néologismes, mots-valises, associations d’idées, etc… créent de somptueux réseaux sonores avec justesse. Réflexions sur l’art, la culture, la philosophie, la religion, la psyché des uns et des autres et travail sur la mémoire, forment les variables d’ajustement de la vie intérieure de Sanda Voïca dans son bain (du) quotidien ; en regard des conditions de possibilité (ou « épopoèmémés ») de l’expérience écriture-vie. Un de ses « épopoèmémés » consiste en la convocation de figures vivantes et passées (des arts et de la culture en général) plus ou moins proches de l’auteure, mêlées à ses intimes (son conjoint, son chat). Tous émaillent le texte avec récurrence ; justifiant ainsi l’alchimie de son épopo-éthique (ah mais !). On y retrouve (entre autres) : Sollers, Michaux, Adonis, Duràn, R. Sekiguchi, Beckett, T.S. Khasis (jeune poète roumain), T.S. Eliot, Bob Dylan, Jésus, Mona Ozouf, Alfred Döblin, Céline Minard, Chris Marker, Kurosawa, A. Jouffroy (proche, décédé récemment), Samuel Dudouit (auteur d’un récent essai sur ce dernier, conjoint de Sanda Voïca) …. Leurs évocations constantes satellisent le monde intérieur de l’auteure, sans quoi il serait impossible, non viable. Et s’il y a critique à l’égard des uns ou des autres, celle-ci est constructive en ascèse de soi (« Eloge de ma passivité tellement active qu’elle fait et fera travailler / les autres. ») Les questions existentielles se fondent sur ce vaste champ expérimental dont le poème figure la friche. Car le texte est le cheminement naturel du réel sur la page. Un « épopoèmémés » peut être aussi bien questionnement qu’outil de questionnement (« Je me perds dans ces réponses pour me retrouver dans ces arrêts / caricaturaux sur l’image qui sont aussi mes épopoèmémés »). Ses « épopoèmémés » sont nombreux mais s’il fallait n’en retenir qu’un, du début à la fin, ce serait sans conteste l’humour, la légèreté gérant le tempérament de l’auteure ainsi que la bonne température de sa parole. Un humour pince-sans-rire (jamais froid donc), subtil, à peine caustique : « Le chat. Son cul, mon œuvre. Je le nourris à la régulière – / Comme on fait l’amour à la régulière. (…) Bob Dylan dans mon cœur comme Jésus pour certains : (…) il a y un essentiel de l’inessentiel – comme l’essence de poires, (…) ». C’est d’abord un dialogue entre Sanda Voïca et elle-même dont il s’agit, afin de « (Se) voir-entendre depuis un autre versant. » de se « passe(r) enfin la parole / Le jour enfin. / Entre le sommeil et le non sommeil, le sommeil. / Le jour enfin. Et pas de veille. Et pas la veille. » La parole butte sur elle-même, issue comme d’une pensée « nègre » ; empêchant parfois la voix de poursuivre sa course logique. Entre récit et prose poétique, éveil et sommeil, lucidité et gestes pour s’y soustraire à sa guise, « la merde et le trou », la vie viable et la mort impossible, Sanda Voïca révèle la mythologie d’un enfer certain sur la terre, dont le poème est un garde-fou avant un exutoire. Ses « épopoèmémés » lui sont ce que les épistémès étaient à Foucault. Et si sa parole est mithridate (« Je suis blessée et plus ou moins guérie par la même flèche, celle de la / langue de mes écrits, (…) »), c’est à ce prix qu’elle approche l’essentiel.
Mazrim Ohrti Sanda Voïca, Épopopoèmémés, éditions Impeccables, 2015.  

 

Rédigé par Florence Trocmé le mercredi 27 janvier 2016

Sanda Voïca
Epopopoèmémés de Sanda Voïca
aux éditions Impeccables ; mars 2015.

Lire l'article de Pascal Boulanger dans artspress n°424, juillet/août 2015.

Note critique de Pascal Boulanger sur "Epopopoèmémés" de Sanda Voïca, in artspress n° 424 ; juillet/août 2015.
Note critique de Pascal Boulanger sur "Epopopoèmémés" de Sanda Voïca, in artspress n° 424 ; juillet/août 2015.

Note critique de Pascal Boulanger sur "Epopopoèmémés" de Sanda Voïca, in artspress n° 424 ; juillet/août 2015.

Sanda Voïca aime bifurquer et choquer. Après sa longue hibernation, Sam(s) aidant (son amoureux et Beckett), elle ose faire sortir son grand rire intérieur. Elle se veut mère voire « truie » des mots. Ce sont en elle des « pourceaux qui la tètent ». Mais elle le leur rend bien. Pas folle la guêpe : « perdue dans sa truité » elle leur fait vomir ce dont ils se sont gavés. Si bien que « sa vieille inquiétude »  peut leur rendre des grâces même « judaïquement ». Au besoin la poétesse rêve de photographier Jésus menée par la lumière « comme Spinoza, Leibniz et comme le camélia » dont Sanda devient la dame.

 

Entre couperet et berceuse elle fait feu de tout bois, paysage, lecture, vision, rencontre. Adonis, grives, Camp du drap d’or, Mikael Jackson, etc.  tout est bon dans le jambon du monde pour l’écriture. Elle va même  jusqu’où généralement elle évite de séjourner : « entre la merde et le trou j’ai choisi le mertrou » ose la poétesse au sein même de ses Alléluia les plus doux et sous un titre énigmatique qui mêle tout : le haut et le bas, l’harmonie et les dissonances. C’est pourquoi son long poème en ses 37 moments est une œuvre rare dans  notre temps. Sanda Voïca ne noie pas le poisson : la truiste dans les eaux troubles se fait altière ego des chants les plus hauts qui ne sont plus sans glotte ou sanglots. Le rire est là très pur jusqu’aux abysses.

 

 

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

 

 

Sanda Voica, « Epopopoèmémés », Editions Impeccables, 134 pages, 2015.

Sanda Voïca, écrivain.

Née le 26 mars 1962.

A Bucarest, elle a publié dans les plus importantes revues littéraires poèmes, nouvelles, fragments de romans.

En 1999, y paraît son recueil Diavolul are ochi albastri (Le diable a les yeux bleus), sous le nom d’Alexandra Voicu, aux editions Vinea.

C’est aussi l’année de son arrivée en France, où elle décide d’écrire directement en français.

Certains de ses textes, mais aussi des collages et des photos, ont été publiés par plusieurs revues papier (Moebius, La Page blanche, Place de la Sorbonne...) ou numériques (Terre à ciel, Ce qui reste, Recours au poème...).

Depuis 2010, elle est initiatrice et animatrice, avec Samuel Dudouit, de la revue numérique Paysages écrits.

Publication en février 2015 d 'Exils de mon exil, éditions Passage d'encres, coll. Trait court.

Elle publie aux éditions Impeccables en mars 2015 Epopopoèmémés.

Tag(s) : #Sanda Voïca
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