"Alain Minighetti, un souffle de braise dans la Clinique des Exilés" Murielle Compère-Demarcy
.. (.../...) Voici le deuxième livre d'Alain Minighetti après "Agrippé à un âne", sorti l'année dernière. D'emblée, c'est tout à fait le genre de textes poétiques avec lesquels je me sens à l'aise. Selon l'expression consacrée, ces poèmes me parlent. Parce qu'à force de délires, ils explorent les voies du possible, que les gens comme les choses ne sont pas pris avec des pincettes, qu'il y a de la noirceur, que le désir sexuel n'est pas planqué, que ça parle de vie quotidienne, la nôtre, que des fois, à force d'exagérations, ça en devient presque marrant. Et que le héros, parce qu'il n'est pas un héros, y va à fond, dans ses pensées comme dans sa vie. Le fait qu'Alain Minighetti vienne de la bande dessinée n'est pas complètement oublié ici. Ses poèmes racontent aussi des histoires, et c'est tant mieux, car ça décomplexe le genre... Bref, la lecture du recueil finie, je n'ai pas eu l'impression d'avoir été immergé dans une moitié de monde. Ce qui est précieux, c'est de découvrir également que cette poésie est plus poétique que bien des poésies. Je veux dire par là que lorsqu'il y a des vers, ce sont des vrais vers, pas des phrases découpées...(.../...) (PATRICE MALTAVERNE/ http://poesiechroniquetamalle.centerblog.net/) (.../...)
Alain Minighetti propose une poésie brute, sans concession. La révolte est continuellement à fleur d’encre, guère éloignée d’un désespoir viscéral et d’une fibre misérabiliste, pas si anachronique que cela. J’ajouterai que son écriture montre des improvisations non retouchées qui majorent la sincérité de son écriture. Le rapport à l’amour en particulier propose une véritable palette de sentiments partant d’une certaine tendresse à une brutalité très contemporaine, où la sexualité la plus crue n’est ni feinte ni tue et où les mots ne s’embarrassent pas de leur ombre portée. Alain Minighetti écrit au couteau dans la nuit, au scalpel dans la chair. Il n’a cure de plaire ou d’amuser. Il joue gros, son absolu n’a pas de limites. (Jacques Morin/ "En guise de postface" in "La Clinique des Exilés"/ Extrait) (.../...)
Cependant la poésie ne naît pas de nulle part et le lecteur reconnaîtra peut-être dans certains textes - et c’est fort étonnant en ce siècle ! - ce que je nommerais volontiers « l’attirail satanique » hérité de Baudelaire ou du Rimbaud s’écriant au début de sa Saison en enfer : « Mais cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! ». D’autres penseront à Michel Houellebecq, en son temps poète, pour le naturalisme désabusé et les hantises contemporaines – le désespoir métaphysique au rayon des surgelés pour le dire vite ! - ou au grand Charles Bukowski pour la crudité et l’énormité de ce qui est dit. Ce ne sont là que des repères et il ne s’agit pas d’écraser l’auteur sous les noms prestigieux. Alain Minighetti a un ton à lui et peut-être est-il le plus convaincant dans les textes où « il ne joue pas à être poète ». Sa sincérité est alors désarmante et un cliché comme les « siestes crapuleuses » devient par exemple sous sa plume : « Après midi crapuleuse/ À s’aimer à ciel ouvert ». (.../...) (Frédéric PERROT/ Extrait de la préface/ La Clinique des Exilés)
Journée docile seul
dans le manque
sans souffrance
musique clémente psychédélique
perdu la notion de temps
les nerfs relâchés reposés
doux comme de s’endormir
avec la lourdeur d’un pachyderme
tu ne fais pas l’amour
avec un physique mais avec l’image
que tu te fais
de l’émanation de ses mouvements
pas d’orgueil pas de nerfs
les objets figés - être en apesanteur
l’inconscient est là beau
chaud comme un linge propre
tu peux le toucher l’humer
garder les lèvres closes
être en arrière du temps
tiré par le temps dans ses sabots
sa torpeur dans l’estomac
comme une enclume cependant
une impossibilité à régurgiter les deuils
qui se multiplient comme des lentes
comment trouver le chemin de ton lit
celui du sommeil véritable - s’abandonner
oh mais qu’ils sont perchés tout là haut
tu dois trouver une échelle de pompier
où sont cachées tes pilules
à quelle heure ferme la pharmacie
sur le chemin de la solitude
tu serres les rênes chaque jour
un peu plus loin lorsqu’il ne reste plus personne
Mathilde parle en toi - fuite en avant
tu ne peux plus sortir aller nulle part
partout le spleen t’étreint
fondu dans l’angoisse
les conversations qui t’excluent
avec Mathilde c’est doux
parce qu’elle ne te parle pas
tu peux réfléchir en paix
sans les interférences t’arc-bouter
pour ramasser les cendres
tu ne l’as jamais empêchée de se saouler
ni de se jeter dans la Volga
tu lui as simplement demandé
de te laisser lire son Télérama
nous ne voulons pas de ces virtuosités froides
de ces feuilletons romanesques insipides
nous vouons l’âme des gens sur la table
le bûcher aux vanités sur la table
tu es enfoui dans la jungle de tes pensées
tu remercies Mathilde pour son écoute
car tu es conscient que le pathétisme
la misère repoussent et effraient
pourtant seul
dans le manque
sans souffrance
c’est beau un homme qui pleure
(Alain MINIGHETTI/ 2012/ Extrait "La Clinique Des Exilés")
Nus dans la nature
Ils s'étaient vautrés
Parmi les nuées d'insectes songeurs
Ils voulaient être innocents
Mais il était bien trop tard
Vivre ne servait qu'à vivre à rien
Pourtant tous demeuraient
De façon quasi exclusive
La tête dans le guidon
Allez savoir
Peut-être y avait-il une étape à gagner
(© Alain Minighetti / Poussière, 2016)
Source : page fb "La Clinique Des Exilés).