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TROUVAILLES DE TOILE… par  M©Dĕm.

Murielle Compère-DEMarcy (M©Dĕm.), poète et enseignante-documentaliste  couvre la Toile pour y  découvrir à  votre intention des sites persos de poètes & d'artistes et ceux d'associations versées dans les mots et les images.

 

Contact : mcdem7@orange.fr 225 rue de la Mairie 60310 LABERLIERE

                                                                                                                                                                                                           

Directeur de publication :  Patrice BRENO                                     https://traversees.wordpress.com

La revue Traversées est une revue trimestrielle littéraire (études, poésie, nouvelles, chroniques) fondée en 1993 ; environ 100 pages en A5. En 2012, elle a obtenu le Prix de la Presse Poétique de Paris.

Le n° 73 de la revue  Traversées consacre plus de ses trente premières pages au grand écrivain marocain Abdellatif Laâbi. Dans l'éditorial le responsable de la revue Patrice BRENO nous explique le contexte de cette édition spéciale : la manifestation Tarn en poésie, organisée par l'association ARPO, a convié pour cette année 2014 l'auteur réputé Abdellatif Laâbi et la revue Traversées à venir se rencontrer à Albi et débattre autour de l'écriture et de la littérature.

La personnalité tournée résolument vers un humanisme de combat d'A. Laâbi se lit tout au long de  son travail d'auteur, ainsi qu'ici dans les réalisations créés à l'occasion de la rencontre de collégiens/lycéens de la Région Midi-Pyrénées autour de l’œuvre du poète originaire de Fès.

Poète engagé dans la défense du droit à vivre en citoyen libre et respecté, A. Laâbi exprime en des mots intenses, simples et percutants son vécu de résistant poétique :

Emmurés / dans leurs propres ténèbres / tes geôliers ne savent pas ce qu'ils font

notamment d'avoir emprisonné durant huit années un poète pour son opposition au régime en place, au Maroc de 1972 à 1980.

Libéré en 1980, exilé en France en 1985, le Maroc au cœur, le poète Laâbi vit aujourd'hui en banlieue parisienne où son écriture multiforme (poésie, roman, théâtre, essai) le fait grandir comme un palmier au-dessus de la mêlée (bel article de Paul Mathieu dans ce numéro 73 de Traversées, en hommage au poète). Palmier au-dessus de la mêlée qui nous touche par son enracinement et ses altitudes qui nous traversent en notre propre expérience intérieure, personnelle et universelle puisque résonnent les chants-cantiques ou les mots du poète, puisque le poète comme l’arbre sème notre même appartenance à la terre et à la Liberté que nous ouvre le ciel de chacun de nos jours, de chaque quotidien, de chacune de nos vies.

Qu’elle soit d’indignation abrasive, de chant vibratoire de cantique, ou aphorismes percutants d’humour, d’humanisme combat et d’humaine vérité, qu’elle soit Déchirements (1990), Tribulations d’un rêveur attitré, discours d’un écorché vif (1986) ou autre discours  – les poèmes d’Abdellatif Laâbi fonde une poésie humaniste et libératrice.

En deux heures de train
     je repasse le film de ma vie
                     Deux minutes par année en moyenne
          Une demi-heure pour l'enfance

                                                                                     une autre pour la prison
                                                                                     L'amour, les livres, l'errance

                                                                                     se partagent le reste
                                                                                     La main de ma compagne
                                                                                     fond peu à peu dans la mienne
                                                                                     et sa tête sur mon épaule
                                                                                     est aussi légère qu'une colombe
                                                                                     A notre arrivée
                                                                                     j'aurai la cinquantaine
                                                                                     et il me restera à vivre
                                                                                     une heure environ

La seconde partie de Traversées propose un dossier sur des poètes marocains et des littératures du Maghreb, à découvrir tant leurs mots en terre de poésie résonnent. Lyrisme, teneur profonde d'un langage travaillé avec émotion et raffinement, engagement poétique /politique des auteurs, foi en l'homme et en une existence à pouvoir vivre en toute dignité et Liberté -rassemblent les voix de ces littératures.

A découvrir comme on voyage dans le Poème et dans la Vie ! En Traversées !

Traversées de l’humaine condition où la poésie reprend parmi ses droits premiers celui de narrer l'aventure humaine en vue de la transmettre. PoéVie !

Traversées est publiée avec le soutien du Fonds national de la littérature (Académie Royale de Langue et de Littératures Françaises de Belgique) et de la ville de VIRTON et est réalisée avec l’ide de la Province de Luxembourg.

"En pleine figure" - Haïkus de la guerre de 14-18, éd. Bruno Doucey.

"En pleine figure" - Haïkus de la guerre de 14-18, éd. Bruno Doucey.

TROUVAILLES  DE  TOILE…

Association Les Adex

 

Coup de cœur En pleine figure, haïkus de la guerre de 14-18

 & LE SITE D’UN POÈTE ÉDITEUR DE POÈTES : Bruno DOUCEY

http://www.editions-brunodoucey.com

 

Paraît cet automne En pleine figure, haïkus de la guerre de 14-18 – anthologie établie par Dominique CHIPOT et préfacée par Jean ROUAUD, aux éditions Bruno DOUCEY.

Plus que de simples poèmes, ce sont ici des haï-kaïs esquissés dans la déchirure de la Grande Guerre, lancés comme «des projectiles, des éclats d’humanité, des brisures d’espoir, de peur ou de vie…» saisis en trois coups de brosse. «La fulgurance du fragment face au désastre de la guerre.» (B. DOUCEY).

Cette parution vaut mention pour son originalité et la force de ses poèmes. Parce qu’elle donne voix à des poètes (une quinzaine d’auteurs recensés avec une courte biographie de chacun) remarqués par Apollinaire, Max Jacob, Paul Éluard ; parce qu’elle ouvre la voie à des haïkus alors censurés, comme ceux de Julien VOCANCE.

                                                           Cla, cla, cla, cla, cla…

                                                           Ton bruit sinistre, mitrailleuse,

                                                           Squelette comptant ses doigts sur ses dents.

     Julien VOCANCE

 Des textes rares et des inédits qui ont retenu l’attention de D. CHIPOT, fondateur de l’Association pour la promotion du haïku, rédacteur de la revue mensuelle Ploc ¡ la lettre/la revue du haïku. Un poète éclaireur et passionné donc, qui établit cette édition sur le chemin du haïku. Un franc-tireur aussi non moins éclairé et éclaireur que l’éditeur, puisqu’il s’agit du poète Bruno DOUCEY, ex-directeur des éditions Seghers dont il continue en quelque sorte de brandir les armes de la poésie en devenant le fondateur à l’engagement fidèle d’une maison d’édition indépendante portant son nom, « libre de ses options et de sa politique éditoriale», accueillant une poésie contemporaine vivante et généreuse, ouverte sur les poésies du monde. Une poésie vive et de combat ouvrant ses horizons à ces haïkus «criant l’horreur et la stupidité» -l’absurdité- de la guerre.

                                                           En pleine figure

                                                           La balle mortelle.

                                                           On a dit : au cœur – à sa mère.

    René MAUBLANC

Coup de cœur / En pleine figure…

Le site du poète de l’éditeur Bruno DOUCEY offre de multiples visages interactifs : vidéos, lectures à voix vives de poètes issus d’horizons multiples et brassant fraternellement leurs univers pour enrichir notre identité plurielle, renvois vers des publications, citation des ouvrages en librairie (Diffusion Harmonia Mundi), invitations au voyage, … De nombreux liens avec des lieux de promotion et de diffusion de la poésie, festivals, printemps des poètes, revues, Maisons de la poésie,… voyages au long cours…

J’aime la lisibilité de la page d’accueil : clarté de la présentation -sobre déclinaison des catégories, attractivité des parcours à découvrir – et l’interactivité surprenante des portes à ouvrir. Un peu comme une route bien balisée vous amènerait à beau port, vous offrant chemins de traverse étonnants et sentes insoupçonnées, embarcadères comme impromptus, instantanés -Invitation au Voyage, disais-je…

                                                                                       © Murielle Compère-Demarcy.

Trios 2, Dominique CHIPOT, éd. Les Adex 

Le trou de la chaussette, Dominique CHIPOT, éd. Pippa (www.pippa.fr)

Les Ateliers d’Expressions de la Revue des Adex n° 41, Octobre 2010, p.10 ; n°50, Janvier 2013, p.9

Tous les n° de Ploc ¡ (la lettre comme la revue) sont consultables ou téléchargeables sur le site de l’association : www.100pour100haiku.fr

Le Prof et le Poète (roman), Bruno DOUCEY, éd. Bruno DOUCEY, 2007

S’il existe un pays (poésie), Bruno DOUCEY, éd. id., 2013 –recueil «où le voyageur soulève à chaque pas le souffle poétique d’un ailleurs qui est le nôtre» (Murielle SZAC, éditrice de ce recueil de B. DOUCEY qu’elle voit comme «un sourcier des images »).

 

Article paru dans la rubrique "Trouvailles... de Toile" de la revue EXpressions des ADex.

"Faux Partir" de Patrice Maltaverne.

"Faux Partir" de Patrice Maltaverne.

Archives de Tag: M©Dĕm.(Murielle Compère-DEMarcy)  

 Publié le 25 février 2015

Tagué

 

éd. Le Manège du Cochon Seul

 

Faux Partir de Patrice MALTAVERNE

recueil de poèmes

 

Faux Partir de Patrice Maltaverne, Recueil de poèmes, éd. Le Manège du Cochon Seul [Nevers]. 2009 [60 p.] ; 9 €

 

A propos de l’auteur : Patrice Maltaverne

Patrice Maltaverne dirige le poézine Traction-Brabant depuis 2004 [Metz],

(Blog : http://www.traction-brabant.blogspot.com)

Auteur de poèmes publiés dans une vingtaine de revues, il a publié Lettre à l’absence en 2014 aux éditions de La Porte. (Cf. Article de Murielle Compère-Demarcy sur le site de La Cause Littéraire du 18/10/2014 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie).

 

A propos du recueil :

Les 8 premiers poèmes de Faux Partir sont parus dans les numéros 38 et 39 de la revue Le jardin ouvrier (octobre et décembre 2003) ; les poèmes n°5 et 6 A plusieurs reprises… ont été republiés dans l’anthologie Le jardin ouvrier publiée aux Éditions Flammarion (2008) ; les 8 poèmes suivants de Faux partir sont parus dans le numéro 11 de la revue Saltimbanques (novembre 2006).

 

——————————–

 

Rien ne sert de courir : il Faux Partir. A point, mais Partir.

 

Par quelles voies, par quels chemins ? Suivant quelles voix ?

 

Si un recueil de Patrice Maltaverne s’annonce comme une invitation à un voyager vrai (cf. Préface Pierre Bastide pour Faux Partir) c’est que l’on sait que ses poèmes sont bons compagnons de voyage. Et si Faux Partir résonne – avec son titre comme d’injonction – avec une poésie particulière, c’est que l’on sait que celle de Maltaverne tient la route et que le recueil ne manquera pas de dépaysements. Dépaysements salvateurs ou salutaires, avec bien des retours, de beaux arrêts sur images, moteur puissant en marche, et pour notre bel enthousiasme reconduit, le transport poétique garanti ! Grâce au poète passeur qui nous ouvre dans ce Faux Partir des chemins poursuivis en quatre quatre (suite de poèmes composés pour chacun de 4 quatrains), ouverts sur l’inconnu après que la voie droite a été perdue,

 

Au milieu du chemin de notre vie

 

Je me retrouvais dans une forêt obscure

 

Car la voie droite était perdue

 

des chemins entrouverts sur un inconnu familier pourtant, tel un rêve étrange & familier, en périphérie d’une ville déshumanisée où le sens se cherche, en quête d’un autre côté où le sens reste à chercher, autre versant de la vie & de soi-même jamais gagné, où le seul chemin à prendre revient toujours de naître. Cheminement -en plein cœur de la vie- poétique.

 

D’entrée, l’illusion d’optique jouée par le premier poème trouble l’effet de perspective. Premier poème du recueil qu’il faut lire en son intégralité pour en saisir la teneur et la profondeur. Pour saisir l’espace à déployer pour le lecteur et par lecteur, ici et tout au long du recueil :

 

Depuis que j’ai fini par me coucher

 

Dans un rêve qui s’enfuit au loin

 

Je cherche à le rattraper mort ou vif

 

Sur la route déjà rayée par la pluie

 

Aux frontières il est écrit qu’un pays

 

Doit naître pour annuler toutes les joies uniques

 

De cette vie toujours prête à être consommée

 

Sans changer de lit au milieu de rien

 

Tu parles quand bien même je serais debout

 

Je n’irai pas au-delà du panneau

 

Qui m’indique la fin de la ville

 

De tous nos instincts captifs sans le savoir

 

Mais de quoi diras-tu ne serait-ce

 

Pas de liberté qui m’inflige beaucoup

 

De ses grimaces au néant des jours ouvrables

 

Sous la vitre où témoigner de mes buées

 

Rythme entraîné, rythme parfois syncopé, rythme bousculé en sa linéarité, Rythme emporté parfois, comme l’est le rythme de notre lecture : le vers ne s’arrête pas, embraye sur d’autres contrées sans cesse remises, vers d’autres pages, d’autres poèmes, d’autres paysages – à des vitesses, selon des points de vue, avec des directives variables.

 

Depuis que j’ai fini par me coucher

 

Dans un rêve qui s’enfuit au loin

 

écrit le poète. Fini, il a fini par se coucher : après quel combat, est-ce là position de résigné, est-ce décision de sauvegarde – sauvegarder soi contre le milieu de rien  (car à quoi bon mal vivre pour rien?), de l’autre côté du monde ordinaire ? Et le rêve s’éloigne comme l’horizon fuit devant la marche du chercheur en quête d’Inconnu et d’Ailleurs. Rêve – inaccessible ?

 

Depuis que j’ai fini par me coucher

 

Dans un rêve qui s’enfuit au loin

 

Je cherche à le rattraper mort ou vif

 

Maltaverne poète déroute nos attentes, surprend. Que cherche-t-il à rattraper mort ou vif : son rêve, enfui au loin, mais comment rattraper un rêve, et comment rattraper un rêve s’il est mort ? Rêve perdu ? Comme on sait que le temps perdu ne se rattrape guère ?

 

Maltaverne bouscule le rythme de nos déroutes, martèle le Faux Partir mais aussi les mots même qui façonnent et déroulent nos (faux?) départs. Et le «tu » interpelle comme il nous implique dans l’engagement du poème. Car la poésie de Maltaverne parle de nous et nous parle. Poèmes de quatre quatrains proches visuellement du sonnet mais sans ses contraintes (au niveau des rimes, des mètres), les textes de Faux Partir déroulent sans ambages ni préliminaires de présentation dans le décor ou les enjeux, des routes inédites passagères où passer, embuer nos dernières pensées vides, effacer les souvenirs, jusqu’à frôler cette folie où ni les aiguilles d’une montre ni les clés de lecture d’un univers effondré ou prêt de tomber ni les restes d’une ville morte sciée par l’autoroute ne peuvent poser de vestiges en ultimes bornes de nos escapades, perdus que nous sommes, égarés au milieu de rien –

 

Quelle folie subite s’est emparée de moi

 

Lorsque j’ai voulu passer le dernier pont

 

Sur l’autoroute qui scie la ville morte

 

Encore une fois pour oublier tous les souvenirs

 

Le décor fantastique, expressionniste de la ville donne à voir des ouvertures de vertige, béance sur des instants d’angoisse et/ou de résistance

 

Je respire à peine dans ces mauvais pas

 

Qui abusent sans doute de ma personne

 

En attendant d’atteindre les principales

 

Broussailles pour me déshabiller l’âme

 

Ce décor fantastique, expressionniste de la ville donne à voir des ouvertures de vertige, en gueules béantes d’une plus haute humanité de marginaux en résistance, souffrant de leur mal vivre où contre rien Faux Partir, en résistance

 

Aujourd’hui lorsque j’y pense la loi

 

De la gravité urbaine venait d’être démontrée

 

Cette loi qui veut que nous disparaissions toujours

 

A l’intérieur des moteurs de nos solitudes

 

Nous avons tracé des routes réelles pour cela

 

Et tous les autres corps sont vite étouffés

 

Dans les années sombres du serpent de goudron

 

La plupart du temps au-dessus des cœurs

 

Villes de Solitudes, mais –

 

Cela ne m’empêche pas de sortir encore

 

Des mers monotones de l’asile de jour

 

Où nous avons été admis dès la naissance

 

Pour coopérer dans le silence quotidien des tortionnaires

 

Optimisme opiniâtre du poète Maltaverne, en vers & contre tout ? Résistance du poète comme dans cette Partie riante des affreux (recueil de Patrice Maltaverne co-écrit avec Fabrice Marzuolo, aux éditions Le Citron noir, en avril 2012) où la part des anges se partage dans l’arène et le silence quotidien des tortionnaires avec lesquels, pour coopérer nous sommes mis / jetés au monde – aux côtés de démons peut-être plus nombreux et comptant nos déboires à leur avantage (cf. plaquette Venge les anges in Mi(ni)crobe #40 c/o Éric Dejaeger, Belgique).

 

S’exprime toujours chez Maltaverne un regard sans concession sur le monde, avec le vers haut qui fait mouche / frappe là où ça fait mal / démange, à l’instar de ces coéquipiers du blog de libres chroniques poétiques Poésie chronique ta malle (http://poesiechroniquetamalle.centerblog.net/) où l’on côtoie poètes et revues d’une même lignée d’écriture, indépendants de toute servitude créatrice et signataires d’une belle créativité (parutions des éditions du Port d’Attache à Marseille dirigées par Jacques Lucchesi, Revue Microbes, Revue Les tas de mots, Paysages écrits, L’Assaut, …). Rôdent dans les parages du blog les présences de Cathy Garcia des Nouveaux Délits, de Vincent Motard-Avargues de la revue Ce qui reste, des auteurs de la revue Dissonances, Thierry Radière, Christophe Esnault, …

 

La poésie de Maltaverne en mettant le doigt dans les choses qui dérangent, bouleverse et remue, nous remet en question, questions reposées à chaque poème, à chaque retour sur poèmes, à chaque vers débordant parfois sur le prochain pour mieux dérouler le rythme éperdu/égaré où malgré nous nous sommes embarqués.

 

Faut-il résister ?

 

Faut-il plier ?

 

Aller comme les honnêtes gens là où

 

De l’autre côté la ville vit toujours

 

Sur le dos des honnêtes gens qui passent

 

Dans l’indifférence générale et finissent par ressembler

 

A des feux noirs emmanchés sur un poteau

 

Mais je ne veux pas être comme eux

 

(…) ?

 

Faut-il faire sécession ? Faire faux bond et choir dans un fossé plein de boue ?

 

J’ai suivi pendant des jours une ligne

 

De fuite à travers la ville en diagonale

 

Sans qu’il me soit possible d’enregistrer

 

De progrès dans ces murs qui s’emboîtent

 

(…)

 

J’ai suivi pendant des jours une ligne

 

Sur laquelle je n’ai cessé de me tenir

 

Pour garder l’équilibre car des vieux

 

M’avaient dit d’en rester là pour eux

 

Continuer comme un sous-marin qui progresse dans les eaux profondes, avant que la mort animale te gobe à sec ?

 

C’est à une traversée d’humanités que nous convie Patrice Maltaverne. Voyageurs intra ou extra-muros de la ville, travailleurs, gens honnêtes, paumés soumis à l’alcool blafard, … tous se confondent et se croisent dans la ville anonyme qui engouffre silhouettes et individualités. Tous confondus sur une même ligne d’où déraper – peut-être le faut-il pour ne pas perdre l’équilibre -, sur la même route et sur le bord, dans l’indifférence générale et

 

Je / Toi / le poète

 

Je reste sur le bord de la route

 

Laissé pour mort par les voitures qui tournent

 

Sur leur circuit automobile avec cette monotonie

 

 répétitive

 

Qui caractérise les âmes ignorantes de leur mort

 

Maltaverne n’écrit pas de main morte ni de fausses notes sur la partition ici d’un voyager vrai (Pierre Bastide in Préface), plus que vrai s’il est vrai que la vraie vie est ailleurs ?

 

Je me dis soudain qu’il faut quitter

 

Cette route pour être un dieu aujourd’hui

 

Mais le soleil à force de nous ignorer

 

Prépare peut-être un nouveau coup d’état

 

Faut-il écouter les vieux poètes, mais leurs paroles ne sont-elles pas leurres / miroirs aux alouettes ?

 

Les vieux poètes pensent que l’on écrit

 

Des poèmes pour chacune des rues qui élèvent

 

Des hommes au singulier si bien qu’ils

 

Se réveillent avec une voix nouvelle pour vivre

 

Mais ce n’est pas vrai seule compte

 

La géométrie de ces espaces monotones à enchaîner

 

A notre silence qui n’est pas étourdi

 

Sur la terre comme dans une ruche pâle

 

Allez travailleurs ! Marchez dans des rues juste

 

 parallèles !

 

Alignez-vous avec le goudron avec votre tête

 

Déjà réduite à de la bouillie sans blessure

 

Et qui compte ses morts dans une tombe

 

Pour l’ouvrir il faudrait ouvrir le ciel

 

Puis passer un laser à travers ces choses

 

Qui nous empêchent de voir la ville expier

 

Le mutisme de ses crimes d’oubli permanent

 

Faut-il / Faut-il… Resterait-il ne serait-ce qu’un faux leurre où se retenir où se sentir vivre ?

 

Car il faut bien vivre avant de mourir

 

Faut-il / Faut-il…

 

•Faux partir !

 

 

© Murielle Compère-Demarcy

"Alphabet" de Philippe Jaffeux.

"Alphabet" de Philippe Jaffeux.

Alphabet de Philippe Jaffeux
Publié le 23 février 2015 M©Dĕm.(Murielle Compère-DEMarcy)
Alphabet de A à M, Philippe Jaffeux, Passage d’Encres/Trace(s) 350 pages, 30 €

 

Un poète sur la place des nombres (2)

 

Étant davantage entrée dans le labyrinthe d’Alphabet, j’aimerais ici exprimer certaines impressions de lecture (« On s’exprime à partir de ce qui nous imprime », écrit Jean-Luc Godard). Tout d’abord pourquoi ce titre ? Le poète ferait-il place davantage ici aux nombres, privilégiant ceux-ci par rapport aux lettres ? N’oublions pas que son outil de travail est l’ordinateur, pour lequel les lettres sont des nombres. Les 15 lettres d’Alphabet ont été construites grâce à un flux électrique. Lettres de conversion à partir de nombres créateurs d’un monde incréé, lettres plutôt que mots, produisant – comme le flux énergétique produit l’électricité- une écriture nouvelle, imprévisible. S’ensuit de cette place incontournable occupée par les nombres comme une magie de cet alphabet de l’électricité. Alphabet d’avant l’écriture de « la lettre » puisque proposant par le flux électrique des lettres perçues avant tout comme des images et des nombres ; Alphabet cosmique puisque brassant le monde à hauteur d’une humanité débarrassée de son pesant d’ego, porté et traversé par la force d’une énergie telle qu’elle peut se diffuser dans des forces électromagnétiques, cosmiques, voire divines. “ Comme l’écrit Jean-Paul Gavard-Perret : « la poésie touche (ici) à la matière même de l’écriture dont le rapport secret emprunte le moins possible aux accidents du biographique. “Elle est autant une science de la nature qu’expérimentation du langage” (…) ». Or, une fois soulignés ces paramètres inhérents à la monstrueuse machination (au sens étymologique pour les deux acceptions) de l’écriture ici en cours, mise en mouvement par le moteur-ordinateur, de multiples paradoxes constructifs apparaissent, termes/fonctions apparemment antinomiques caractérisant essentiellement cet Alphabet et lui permettant même de fonctionner : – Créé et mû par un « processus de construction et d’associations mentales très RÉACTIF » (ndla), le monde d’Alphabet est tout à la fois porté par l’instantanéité de la démarche à la vitesse de l’énergie électrique et par la réflexivité dans le sens où sa signification émerge à la fois de représentations conceptuelles et de représentations perceptuelles aiguës. Les cinq sens du système nerveux ainsi que l’idéation, la pensée systémique à l’œuvre dans une telle démarche et le cerveau de l’ordinateur coopèrent à la construction de cet édifice. Ceci dans une fulgurance de l’instant conceptualisé par une mise en réflexion fulgurante. – Ce processus de construction intuitif et conceptuel, d’une signification perceptuelle aiguë, procède à une déconstruction textuelle du texte par l’ordinateur. – L’interactivité expérimentée par le lecteur dans sa connexion à ce monde le place simultanément dans une zone de liberté où le livre devient le sien mais où la possibilité d’une absence de fonctionnement dans le contrat signé avec l’auteur guette également son approche. La possibilité du lecteur se joue ici dans un cadre de création hors norme, hors consensus puisque l’écriture en est nouvelle : inédite. Si le contrat est bien signé avec l’auteur, l’entrée du lecteur dans Alphabet ouvre des champs d’appropriation et d’interprétation infinis que le lecteur peut explorer à l’envi. Libre, le lecteur fera comme sien cet alphabet, lequel exigera cependant la vigilance commandée par une littérature de contraintes. Nous connaissons ce que Baudelaire a majestueusement exprimé dans son petit poème en prose sur cadre d’un tableau : « la liberté (de l’Imagination) commence là où s’arrêtent les limites matérielles du tableau ». – Expérimentant un outil contemporain utilisé par le plus grand nombre (l’ordinateur mettant en œuvre les nouvelles technologies), Alphabet délivre ici un message inédit et singulier, hors espace-temps d’où sa monstruosité, transcendant cet espace-temps par la voie d’une littérature transposant/ transfigurant et sublimant son sujet. Mais, ces tensions en jeu dans la mise en œuvre de cet Alphabet ne sont-elles pas celles en jeu d’une façon analogue dans les flux électriques parcourant notre monde, dans les forces électromagnétiques innervant nos systèmes de pensée et de fonctionnement, traversant la complexité d’une nature et d’un univers régis par le déterminisme et le « hasart » (distorsion orthographique voulue par l’auteur) ? Cet alphabet de l’électricité va/fonctionne comme le monde en ses lois et ses aléas empiriques, le transcendant en le traduisant sur nos pages de lecture par la voie de la création. Alphabet ou l’odyssée d’un monde Livre-Monde, Livre-« monstre », Alphabet pourrait ainsi se caractériser par sa qualité de livre hors normes. Livre à la fabrication non moins « monstre » : Alphabet a été écrit sur du papier 100 g et sur un format 21×29,7 cm entraînant un poids des pages mesuré sur une impression en recto seul, ainsi que des mesures de longueur ne correspondant pas aux normes éditoriales officiellement pratiquées, habituellement appliquées. Livre-Défi donc. Une page peut contenir, si l’on extrait pour exemple la page (non numérotée) U de D comme entretien ? 16 cm de mots en largeur, 25 cm en longueur avec pas moins de 52 lignes (ouvertes en l’occurrence par l’anaphore d’une tournure interrogative non ponctuée dans sa réponse par un point final – la ponctuation finale (…) n’étant utilisée que pour clôturer l’abécédaire structurant cet entretien et annoncer la lettre E. Exemples de signes particuliers : « La lettre D s’intitule “Entretien ?” car elle contient 676 questions classées dans l’ordre alphabétique » ; « la disparition des majuscules sur les deux dernières lignes de la page Z ». Cette conception hors norme attire-t-elle une curiosité elle-même hors norme, ou cet alphabet peut-il attirer dans son flux électrique un lectorat plus large que celui regroupant des expérimentateurs d’un Langage ainsi mutant, à l’œuvre et en perpétuelle évolution ? Déjà les dispositifs visuels comme ceux de E (Zen…), de M (=17 576) pourront-ils attirer l’intérêt d’un nombre notable de curieux ? Aussi, la lecture de la gestation et de l’accouchement d’une écriture actée et comme en images pourra-t-elle dessiller les yeux de ceux qui seraient tentés par nature de ne pas affronter cet alphabet ? Ainsi, extrait des vingt-six lignes composant la lettre A de l’abécédaire dansant de B (suite) : “ Un océan d’octets dérive sous une île rectangulaire tandis qu’une encre flotte grâce au poids d’un papier vague (= 1 ligne) un flot de cimes rouges surplombe une plage verte pour déployer la vision illisible de notre territoire chatoyant (= 1 ligne). Livre-monstre en son poids et sa grandeur peu propices au transport, également. Lisible exclusivement (vœu de son auteur) sur support papier (dont la texture est particulièrement tangible), cet alphabet pèse son pesant de pages. Que les passionnés donc prévoient en cas de transport dudit livre : 1 kilo sept cent cinquante grammes de charge dans leur bagage ! Livre encyclopédique réunissant et entremêlant pour les enrichir savoirs et perceptions. Livre océanique brassant « un océan d’octets » et l’encre des pages en une navigation multi-voiles pour tracer les hautes lignes de notre « territoire chatoyant ». Odyssée alphabétique dérivant au gré des courants incontrôlables et contrôlés, condensé conceptuel et hyper-perceptuel d’une exploration vaste à hauteur d’humanité, actes de Langage, univers intégral immédiat traversé de contingences détraquées, Expérience Littéraire cosmique et mythologique – Alphabet est tout cela en sa totalité, en son unité globalisante transcendant par sa geste créative toute pensée systémique. En guise de conclusion provisoire… Cosmogonie ? Alphabet mythologique ? Nouvelle aire d’une écriture mutante ? L’écriture de Philippe Jaffeux instaure à coup sûr un nouvel espace sémiotique, épistémologique dans la perspective d’une ligne de fuite machinique mettant en œuvre un total champ poétique expérimental. A l’instar du modèle descriptif et épistémologique constitué par le rhizome dans la théorie philosophique de Gilles Deleuze et Félix Guattari, dans lequel l’organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination hiérarchique mais où tout élément peut affecter ou influencer tout autre (Deleuze & Guattari 1980 13). C’est pourquoi Alphabet s’inscrit dans le champ d’exploration à la fois du poétique, de la philosophie sociale, de la sémiotique, de l’épistémologie et de la théorie de la communication contemporaine. Il s’agit de ne pas en perdre mais d’en souligner au contraire la singularité.

©Murielle Compère-Demarcy.

 

 

"Ainsi se parlent le ciel et la terre" de Michel Cosem.

"Ainsi se parlent le ciel et la terre" de Michel Cosem.

Ainsi se parlent le ciel et la terre Michel COSEM éditions L'Harmattan Poésie

Publié le 24 juillet 2014

M©Dĕm.(Murielle Compère-DEMarcy)

Ainsi se parlent le ciel et la terre, de Michel COSEM -recueil de poésie de 89 p. paru aux éditions L’Harmattan , 12/2013 – [11,50 €]

 

Écrire être au monde en sachant comment se parlent le ciel et la terre, avec toute la sérénité d’un poète qui maîtrise sa langue et pose un regard paisible sinon rasséréné sur le monde, -ainsi nous parle / créé / voyage Michel Cosem. Écrire : Ȇtre / Ȇtre au monde et l’ Écrire / Écrire & être au monde Une même lettre initiale inaugure la geste créative, que transfigure l’acte poétique porté par le poème, d’un merveilleux quotidien. Geste créative / Quête existentielle. Ainsi se parlent le ciel et la terre s’ouvre sur le Dire de cet acte inaugural « Écrire être au monde« , comme dans l’Aube de Rimbaud « la première entreprise fut une fleur qui (…) dit (au poète) son nom ». Et le merveilleux quotidien, surgi de cette entreprise de langage entre le ciel et la terre mise en mots par le poète, transparaît d’emblée dans les interlignes de la page première. Il s’agit d’ Écrire être au monde / Comme un carré de terre, mais, pas n’importe quel espace-temps ici s’instaure— — puisqu’on l’y trouve semé d’orchidées mauves / et de plumes d’oiseaux — puisque les interlignes sont de ressource inscrits dans la sève & dans les sources, reconduits sans cesse / sans arrêt renaissants / sur la ligne de crête des souvenances dans les lumières, dans les mémoires — puisque s’y écrivent les soleils et les océans, les racines du monde En plein ciel ou dessous l’écorce d’où se relisent / s’écrivent se relient l’histoire et l’imaginaire les horizons pluriels / l’Est du levant l’Ouest du couchant / Du cœur les crépuscules ou les hautes dunes d’or. Nous sommes dans Ainsi se parlent le ciel et la terre À la limite À la limite presque bleue presque blanche à la limite reliant le règne du vivant au règne de l’imaginaire Si les référents sont souvent de sources élémentaires (l’eau, le vent, le feu des soleils, le souffle de la terre), leur existence prend Encrage sur la ligne du cœur d’où écrit le poète Michel COSEM. Jean Joubert dans la Préface évoque la concision des poèmes, l’expressivité des images et des métaphores qui s’y déploient, et parle, à propos des petits poèmes en prose qui remuent aussi les pages de ce recueil, de petits chefs-d’oeuvre de finesse et d’émotions discrètes. Je pense que la puissance évocatrice et la force créatrice des poèmes constituant Ainsi se parlent le ciel et la terre se trouvent là : dans la simplicité et la profondeur des réalités qu’ils lèvent. Profondeur d’une observation fine et attentive du poète qui regarde et écrit le monde où il prend corps et chant ; simplicité des visions révélées, à portée de regard, de la synesthésie de tous les sens et des sentiments, dans une envergure et une altitude portées par l’écoute en veille ou active du monde, vue par le poète. D’envergure et d’altitude il est question ici où se déploie l’incessant dialogue entre le ciel et la terre, d’autant que l’oiseau en signale abondamment les lignes de voyage, les lignes de partage et de contrées migratoires, les couleurs. Le rossignol, hôte d’un même territoire que celui disputé à l’eau laissant venir à elle la feuille rousse ; la buse qui en plein midi noir / miaule ; tandis que roule le loriot / dans la forêt légère / Le nid tissé de frais / est plein d’illusions ; le chant discret de la sitelle où passe un papillon ; la hulotte toute tremblante annonce la nuit et les chemins de hasard, les rêves qui scintillent au bout des mots ; … Sans doute rôde au-dessus d’Ainsi se parlent le ciel et la terre, L’ombre de l’oiseau de proie titre d’un recueil du même poète aux éditions de L’Amourier— Oserais-je écrire que les poèmes de Michel Cosem ressemblent à des ortolans gagnant leur territoire sur l’arbre-de-poésie -l’ortolan recherché, l’ortolan rare à apprivoiser du regard et dans l’esprit ? Mais le poète-éditeur est à l’écoute du monde animal et végétal dans son ensemble, en une multitude que l’acuité du regard seule signale (le grand cerf, les orchidées mauves, les feux d’herbes, le vieux chêne, les broussailles, le scarabée doré, le papillon aux ailes de rouille, l’abeille tournant sous le lilas…), Car il s’agit bien de voir, écouter et regarder -tous les sens en éveil- pour VOIR ; VOIR et être au monde ; VOIR, Écrire être au monde— Entendrai-je encore longtemps le chant des tourterelles dans les platanes verts semés de ciel et d’hirondelles et de tranquilles idées ayant les habits du matin. Entendrai-je encore longtemps parler la langue verte du fleuve portant des myriades de nouvelles d’aval ? Ainsi se parlent le ciel et la terre éd, de l’Harmattan (12/2013) de Michel COSEM -nous écouterons encore longtemps résonner en nous ses poèmes Que nous prendrons à chaque matin de nouvelle rose / Que je prendrai encore à la nouvelle rose de chaque matin. Mais laissons,là, la vraie parole au poète : Une nouvelle rose ce matin se balance et cherche à me ravir. Je la laisse un instant en attente. Elle me parle du vent d’été et de la forêt redevenue sombre et bruissante, des nuages clairs qui passent dessinant des fantasmes. Elle m’entoure d’une écharpe de laine fraîche car le fond de l’air est frais, tandis qu’alouettes et rossignols se répondent en paix. M©Dĕm.(Murielle Compère-DEMarcy) http://www.mcdem7.over-blog.com Pierre DHAINAUT Traversées Tagué Publié le 14 avril 2014 M©Dĕm.(Murielle Compère-DEMarcy) n° 49 de Traversées M©Dĕm. a lu et commenté pour vous : n° 49 de Traversées intitulé Pierre DHAINAUT En remontant dans les archives de Traversées j’ai retrouvé un numéro de la revue consacré au poète Pierre DHAINAUT (n°49 / Hiver 2007-2008). [Au passage, l’on se dit que l’Éditorial signé alors de Véronique DAINE (Belgique) et qui soulignait la nécessité et l’urgence de porter regard à cet Autre poussé et délaissé dans la Précarité dans tous ses éclats dévastateurs et ce, jusqu’aux derniers retranchements, jusqu’au renoncement –on se dit que cet Éditorial laisse à réfléchir au vu de sa continuelle actualité en… 2014…]. Revenant donc au n° 49 de Traversées intitulé Pierre DHAINAUT et alii –un exemplaire ravivant les tiroirs de la mémoire- je me suis longuement arrêtée sur les pages intitulées ‘Une école des rivages’ suivant l’expression du poète – j’ai voyagé dans ces pages pour y revenir et y revenir encore, et en noter par intermittences comme des impressions –des réflexions aussi peut-être- que m’inspirait la poésie de Pierre DHAINAUT. Si je devais choisir quelques mots évocateurs pour moi de la poésie de l’auteur de Mon sommeil est un verger d’embruns (1961) je choisirais ceux de mouvement, exigence, souffle, partage. Et c’est dans la mesure où ce sens de partage est particulièrement sensible dans l’univers et pour le poète Pierre DHAINAUT, que rebondir même timidement, en tout cas humblement sur la plage de son école des rivages, m’a semblé pouvoir être porté. “ Non, nous n’initierons pas les enfants à la poésie, comme c’est devenu l’usage dans nos écoles, par l’intermédiaire des seuls jeux verbaux. Certes, le nombre de syllabes ou la reprise de quelques sonorités participent à la naissance, à l’expansion d’un poème, ils lui sont consubstantiels, mais en les isolant on en fait des procédés, on s’en tient au langage, et l’on oublie que l’exigence de l’écriture ne consiste pas en la fabrication d’un objet, elle est bien plus vaste. L’écriture, une école des rivages : le poème n’est si ardent, il n’est juste que s’il se porte et nous porte hors de lui.

(Pierre Dhainaut) Pierre DHAINAUT

L’auteur du recueil "Le don des souffles" (Mortemart, Rougerie ; 1990), s’il OUVRE le poème conçu tel un souffle dans un appel d’air lui-même ouvert par l’absence d’inscription sur la page (Une école des rivages)- OUVRE dans un même élan d’écritures (de la vie courante et de la vie écrite/sans cesse à écrire) une terre d’accueil et de recueil où le partage est un des maîtres-mots. “ Le poème n’en est pas un, qui a la prétention de se suffire. “ Rendre les mots moins lourds, moins opaques, et ne penser qu’à eux dans cette tâche, mais que serait le poème s’il les gardait pour lui, s’il ne nous rendait pas, auteurs ou lecteurs, un peu moins lourds, moins opaques, nous aussi. Quête existentielle ici du poème, vitale pour le sujet qui l’instaure au centre de son expérience personnelle sociale à partager en terre de vie, de poésie –de poéVIE. La poésie ici n’est pas aux prises avec un horizon spéculatif mettant l’accent de façon emphatique sur sa vocation ontologique, ni enfermée dans une vision sacrale, logolâtrique l’instaurant gardienne d’un monde parallèle à l’intérieur d’une tour vide dont elle serait la seule instauratrice parce que non ouverte au Dehors, au rythme de la vie, à sa densité expérimentée chaque jour et sans cesse éprouvée, donc exposée à ce qui est autre qu’elle-même et dans les faits la nourrit. La poésie chez Pierre Dhainaut est poéthique, formant une existence à la fois lyrique et poétique –ce que Jean-Claude PINSON nomme : «l’habitation poétique».* Plus que son auteur, le poème est un hôte : quand lui ressemblerons-nous ? questionne Pierre DHAINAUT dans Une école des rivages. Et pour cela, l’effacement de soi au service du poème est indissociable de sa genèse et de son accouchement ; par-delà de son expansion et de ses résonances ; de la pérennité vivante de sa parole et de l’immuable allié à l’éphémère qu’elle nous porte. C’est pourquoi Vers après vers, l’espoir se ravive, celui de renaître, renaître en éphémère. Poésie papillon du jour renaissant Phénix de ses ailes perpétuellement à éployer. L’insistance de P. DHAINAUT à rappeler le nécessaire retrait de la personne de l’auteur, du nécessaire oubli du souci de soi au service du poème (On veut s’affirmer, puis on veut s’effacer, on s’accorde alors trop d’importance : ce qu’il convient de réduire, quelles que soient nos activités, le souci de soi) -ouvre ce dernier à la respiration dont l’espace se forme au rythme de ses propres pulsations. Ainsi les Entrouvertures (titre d’une série de septains publiés dans ce n°49 de Traversées) sont-elles assurées au sein d’un espace-temps où instant et durée donnent à vivre un temps vécu sans cesse à renaître (L’instant et la durée sont égaux, sont eux-mêmes, au présent du poème). Ces Entrouvertures ouvrent à cette passion de la patience. Entrouvertures également offertes à l’œuvre inachevée : Je m’étais dit : le jour où je serai certain d’avoir vraiment écrit, non pas un livre, mais une phrase, une seule, je pourrai m’arrêter, je n’aurai plus rien à prouver, je saurai mieux vivre. Bien sûr, ce jour n’est pas venu. Il ne pouvait venir. Il ne viendra jamais. A peine esquissée, une phrase en désire, en suscite une autre, encore une autre… Commencer à écrire, commencer sans cesse, entrer dans l’inachevable. Mais cet inachevable ne cède en rien à la stérilité d’une stagnation : le poème s’écrit, se transmue, se transmet dans la progression (poème qui progresse en essaimant). On aura compris que ces pages de Pierre DHAINAUT dressent une sorte d’art poétique, indissociable d’un art de vivre ; mais elles expriment aussi la singularité de la poésie de DHAINAUT. Je ne citerai pas davantage ces pages de L’école des rivages (on aura noté le pluriel des rivages, de mot en mot, le sens se libère, la résonance, tout se dit au pluriel) –je ne citerai pas davantage de ces bribes, sinon à prendre le risque de tout reproduire ici. Tant le poète nous parle, tant il résonne –pour qui l’écoute, pour qui a gardé cette vertu d’accueil et cette force augurale vécues pleinement au pays de l’enfance livrée aux souffles pluriels des émotions, furtives mais fortes, passagères mais intensément immuables. Permanence de la parole du poème.

M©Dĕm.(Murielle Compère-DEMarcy)

Pierre Dhainaut.

Pierre Dhainaut.

Murielle Compère-Demarcy a lu et commenté pour vous :  

 

L’Ouzbek muet et autres histoires clandestines de Luis Sepύlveda, éd. Métailié, 2015 ; 
[133 p.] ; 16 €

 

L’Ouzbek muet constitue le titre de l’une des nouvelles de cet opus avec, comme dans les autres "histoires clandestines" qui le composent, pour toile de fond les années 1960 où la politique occupait une place prépondérante, au Chili et dans les pays environnants, où la jeunesse partageait "le beau rêve / d’être jeunes sans en demander la permission" (dédicace de la première nouvelle de ce recueil, Le soldat Tchapaïev à Santiago du Chili).

Une jeunesse militante –camarades des Jeunesses Communistes du Chili, de la Fédération des Jeunes Socialistes –en lutte dans une révolution ardente contre l’impérialisme américain, la montée du libéralisme capitaliste.

Originaire du Chili, Luis Sepύlveda connaît le décor de ces histoires émouvantes qu’il met en intrigue et le charme de ce recueil tient à ce que l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour, de Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, de La Folie de Pinochet, entre autres, nous rapporte ici des récits de vie teintés parfois d’une drôlerie décalée par rapport à la gravité et l’extrême dangerosité des faits, avec une tendresse délicate et touchante. Récits de vie rapportés par l’intermédiaire de témoins, par le truchement de témoignages oraux, retranscrits souvent près d’un demi-siècle plus tard.

Les histoires se déroulent dans le tempo fluide d’une écriture limpide, concentrée sur le vif de l’action révolutionnaire, débarrassée de toute fioriture d’ordre descriptif et de commentaires. La voix de l’auteur ne se fait pas tant entendre ici que celle d’un narrateur accomplissant un devoir de retranscription de faits politiques survenus dans de jeunes vies trépidantes emportées dans le feu passionné et incontrôlable du combat révolutionnaire. S’y retrouvent les valeurs d’une solidarité commune à ces combattants, ses chutes également tel "un tas de miroirs brisés", à l’image de la mémoire que nous sommes (cf. ces mots de Jorge Luis Borges cités en exergue de Moustik : "Nous sommes notre mémoire, / Ce musée chimérique aux formes inconstantes, / Ce tas de miroirs brisés.").

Histoires d’action, émaillées de touches picturales réalistes et pittoresques sur le décor et la vie quotidienne et exceptionnelle d’une jeunesse militante des années 60 emportée à ses risques et péril dans le flot des révolutions politiques ; ponctuées de dialogues efficaces, au rythme enlevé, comme était captivé et entier l’engagement sur fond d’idéal révolutionnaire de cette jeunesse soulevée.

 

Le lecteur entre avec empathie dans l’univers passionné et parfois maladroit, inexpérimenté, de cette jeunesse révoltée soutenant à corps et à cri la cause bafouée de l’homme exploité, trompé, voire "exterminé" comme dans cette guerre du Vietnam évoquée d’entrée dans ce recueil. Ainsi le narrateur de la première nouvelle, alias Pavel Korchagin- le héros Komsomol de Et l’acier fut trempé-, improvisant avec son camarade militant des Jeunesses communistes du Chili, Marcos, alias Tchapaïev, et le camarade de la Fédération des jeunes socialistes, Tino, alias Chamaco Valdès, -improvisant donc l’opération "Vo Nguyen Giap", action révolutionnaire visant à marquer leur opposition à la guerre d’extermination au Vietnam par l’impérialisme américain (Le soldat Tchapaïev à Santiago du Chili). Première action révolutionnaire commune entre les Jeunesses communistes du Chili et la Fédération des jeunes socialistes, fomentée par de jeunes ardents révolutionnaires encore inexpérimentés, bricolant leur bombe avec les moyens du bord.

 

L’ardeur politique des jeunes héros voués corps et âme à leur cause, mais encore englués dans une obéissance aveugle à la discipline militante sans avoir eu le temps d’acquérir encore de réelle expérience, engendre de cocasses inattendues situations dont les jeunes gens tentent de se dépêtrer tant bien que mal, sous le regard tendre du narrateur et du lecteur touché et emporté dans le pittoresque et les maladresses de leurs pérégrinations.

 

Bien sûr l’amour n’est jamais loin et teinte d’idéal romantique ou d’érotisme les aléas très sérieux de l’engagement politique. Comme une respiration douce, un bol d’oxygène, dans le souffle de forge brûlant d’un engagement politique révolutionnaire, vecteur d’une application directe du fait accompli. Ainsi en pleins préparatifs d’une action révolutionnaire, le narrateur de la première nouvelle délaisse-t-il une discussion politico-militaire d’une haute urgente, au profit d’une préoccupation sentimentale : "Et puis, abandonner une discussion politico-militaire pour aller manger du gâteau avec une nana", lui reproche-t-on, "ça, c’est enfreindre la discipline révolutionnaire." (Le soldat Tchapaïev à Santiago du Chili).

 

L’auteur pointe du doigt la difficulté qu’oppose l’idéologie au processus révolutionnaire proprement dit. Il oriente l’humour tendre de son regard en projecteur sur l’insuffisance des dispositifs mises en place pour la lutte, l’insuffisance des structures entourant les actions radicales engagées par les jeunes révolutionnaires. "Les FARCH (Forces Armées Révolutionnaires du Chili) avaient (…) pris la décision de s’armer, d’acheter des flingues mais pour cela, il leur fallait une infrastructure économique qui leur permette de disposer d’artillerie, de planques et des besoins communs à tout processus révolutionnaire. Et comme cette détermination devait passer à la pratique en respectant la voie organique (…). Finalement, ils avaient choisi à l’unanimité de remettre à plus tard les discussions tactiques et stratégiques." (Blue Velvet). C’est dans cet écart entre le très sérieux et passionné, déterminé, engagement des jeunes révolutionnaires, et la légèreté, l’insuffisance de leur arsenal de combat, que s’immisce les failles et le comique, parfois le dénouement cocasse, de leurs actions. Ces failles donnent l’ingrédient de ces histoires clandestines. Les rapports disproportionnés entre la cause poursuivie, les moyens déployés et le résultat, prêtent à sourire et émeuvent un lecteur touché par l’investissement passionné et sincère de ces jeunes en quête d’un idéal qu’ils ne voient pas tel, encore moins utopique.

 

Dans l’incipit de L’Ouzbek muet, le narrateur confie : "Il y a dix ans, Rodrigo m’a donné des détails sur cette histoire dans la gare centrale de Genève. Par une température de moins de dix degrés son récit m’a fait rire et pleurer. Quand on s’est séparés je lui ai donné dix ans pour l’écrire faute de quoi je le ferais moi-même." Ces histoires clandestines nous font rire et pleurer. Nous procurent des émotions, imperméables au tarissement, au bruissement de l’oubli glacé de nos mémoires. Simples lecteurs nous n’en demeurons pas moins des spectateurs émus par leurs récits de vie, sans âge au final, puisque traversés par cette éternelle jeunesse, synonyme d’espoirs et d’espérance, dont nous conservons en chacun(e) de nous des brandons incandescents, relais vers d’autres passages--- vers des chemins de révolution, permanents. L’heure est toujours venue de répondre "présent !" dans le panorama insurrectionnel des temps qui courent. La question étant de savoir s’il est possible  "d’arriver à réaliser pacifiquement et démocratiquement des changements" dont notre destin a besoin –et à quel prix. Question à laquelle se heurtent les jeunes héros de ce recueil d’histoires clandestines de Luis Sepύlveda, L’Ouzbek muet, toujours d’actualité.

 

Murielle Compère-Demarcy

Article paru sur le site de "La Cause Littéraire"

Tag(s) : #Recensions, #chroniques
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